Cabaret Bartók

Un Cabaret Littéraire de Roland Cahen

Créé en 1994 Au Centre d’Art et et Plaisanterie de Montbéliard

I

L’enfance de l’art

 

Jocelyne :

Béla Bartók vient d’avoir deux ans, son père lui a offert un tambour. Il en joue avec passion et l’emporte partout. Il s’amuse à marquer la mesure lorsque sa mère chante, et dès trois ans, il l’accompagne lorsqu’elle joue du piano. Pas question de le duper, si elle modifie le tempo, il s’en aperçoit immédiatement et rattrape. Très vite le tambour ne lui suffit plus, il convoite le piano de maman. Lorsque elle sort, il soulève le couvercle et se familiarise avec ce vieil instrument placide et saturnien, gros animal en bois mouluré, astiqué une fois la semaine, dont les touches sont jaunies comme les dents d’un chiqueur transylvain. D’un doigt il apprend à se repérer sur le clavier, à retrouver d’oreille les airs qu’il connaît. Il accomplit des progrès fulgurant et en quelques semaines il a transposé au piano les quarante mélodies qu’il connaît par cœur. A quatre ans il conduit ses mains sur le clavier avec le flegme instinctif du marin pécheur pilotant son canot. La musique est son royaume, son langage, sa façon à lui de s’adresser au monde et de méditer. Émerveillée par ce fils hors du commun, sa mère lui donne à cinq ans sa première leçon. Désormais Béla jouera quotidiennement. Un mois plus tard l’enfant a brûlé les étapes, il joue désormais à quatre mains avec sa mère et se permet des facéties d’improvisation qui dépassent de beaucoup son apprentissage. C’est trop beau, presque inquiétant.

"En 1888 c’est le drame ; Monsieur Batók meurt prématurément. L’élan de Béla va se briser devant le désespoir et les difficultés matérielles".

(extrait musical : "Evening in Transylvania"joué au piano puis repris par l’orchestre, en fond sous le texte)

Kodjovi :

Après la mort de mon père, ma mère dut gagner travailler comme institutrice ;… Comme dès l’âge de neuf ans, je composais de petites pièces pour piano et fit de brillants début comme "compositeur" et comme pianiste, il fut important que nous partîmes pour une ville plus grande… nous nous installâmes donc à Nagyszöllös…

Les répliques se chevauchent

Jocelyne :

Maintenant en Tchécoslovaquie

Kodjovi :

…puis à Bistriz…

Jocelyne :

Bistita en Transylvanie, maintenant en Roumanie

Kodjovi :

…et pour finir, en 1893, à Presbourg…

Jocelyne :

Pozsony, aujourd’hui Bratislava, capitale de la Slovaquie.

Kodjovi :

Fini le temps des bourgades et des patelins agricoles.

Jocelyne :

Qui jouissait à cette époque de la vie musicale la plus intense.

Kodjovi :

Je fus l’élève de Lásló Erkel et il me fut donné d’assister à de nombreux concerts et opéras, toutefois plus nombreux que bons. Je composais avec ardeur sous l’influence de Brahms.

Mes études secondaires achevées, Dohnányi me conseilla de m’installer à Budapest, où je fus l’élève de Janos Koessler à l’Académie Royale Hongroise de Musique de 1899 à 1903. Mais je n’étais plus qu’un brillant pianiste, j’avais dû laisser mon travail de composition en jachère.

Début d’"Ainsi parla Zarathoustra"chanté et joué sur les ustensiles disponibles.

Kodjovi :

La première exécution d’ Also sprach Zarathustra à Budapest en 1902 m’arracha comme un coup de foudre à cette stagnation. L’œuvre horrifia la plupart des musiciens de la ville, elle m’enthousiasma. Enfin une nouvelle voie, une nouvelle direction. Je me plongeais dans Strauss et me remis à composer. Au même moment naissait en Hongrie un courant politique national. Il convenait de créer un art spécifiquement Hongrois. Soumis à ces influences, je composais en 1903 un poème symphonique, intitulé "Kossuth"(kochout).


II (1)

KOSSUTH

Gilles :

 

KOSSUTH :

POÈME SYMPHONIQUE :

ANALYSE DE LA PARTITION :

INSTRUMENTATION :

(en tournant, chacun son tour dit un instrument de plus en plus vite puis superposé)

(avec des extraits de musique, sur bande, héroïques)

Bois : 1 flûte piccolo

3 flûtes

3 hautbois

1 cor anglais

1 clarinettes en Sib

1 clarinette en La

1 clarinette en Mib

1 clarinette basse

1 contrebasson.

 

Cuivres : 8 cors

4 trompettes

1 trompette basse

3 trombones

2 tubas ténors

1 tuba basse

 

Percussions : 3 timbales

caisse claire

grosse caisse

cymbales

tam

triangle

 

Cordes : 2 harpes

16 premiers violons

17 seconds violons

12 altos

10 violoncelles

8 contrebasses.

(un temps de silence)

Tous :

                      Bizarre !

Gilles :

           Pour l’époque c’était plutôt osé.

Jocelyne :

           L’année 1848 fut l’année de la révolte hongroise, une lutte désespérée de la nation pour la liberté. Le chef, le cœur et l’âme de cette lutte fut Louis Kossuth. L’Autriche réagit en 1849 en concluant une alliance avec la Russie. Un coup fatal fut infligé à l’armée Hongroise et l’espoir d’un royaume indépendant se brisa.

(motif piano N°1)

(pendant toute la séquence le texte se superpose à la musique)

Kodjovi :

Ce thème est joué au cors et accompagné au violoncelles et au bassons contrebasses.

(motif piano N°2)

Gilles :

"Quel tourment pèse sur ton cœur mon cher époux ?"

(motif piano N°3)

Kodjovi :

La fidèle compagne de Kossuth regarde avec angoisse le visage de son mari soucieux et torturé par les tourments. Il tente de la tranquilliser mais la douleur longtemps contenue explose de son cœur.

Gilles :

"La patrie est en danger !"

(motif piano N°4)

Kodjovi :

Après deux modulations rapides, le fortissimo de l’orchestre s’évanouit progressivement, puis passe au piano. Kossuth rêve au passé glorieux :

Gilles :

"Nous avons connu des temps meilleurs"

(motif Piano N°5 et 6)

Gilles :

"Notre sort a pris une mauvaise tournure"

(motif piano N°7)

Gilles :

"Aux armes !"

(motif piano N°8)

Gilles :

"Allez, guerriers hongrois, venez vaillants Hongrois !"

(motif piano N°9 et 10)

Jocelyne ou Dominique :

Aussitôt décidé, les armes sont saisies… c’est l’appel de Kossuth aux enfants de la nation, "Héros hongrois, tous sous le drapeau !"…

(motif piano N°11)

Le tambour devient alors de plus en plus fort tandis qu’un nombre toujours plus grand d’instruments entre, enfin les trompettes et les trombones, fortissimo…

(motif piano N°12)

Kossuth et son armée prononcent le serment de se battre jusqu’à la mort…

Kodjovi :

Et ça finit comment ?

Anne : (se tournant puis reprenant le motif N°13)

Mal !

Gilles :

" Tout est perdu"

(motif piano N°14)

"Silencieux tout est silencieux…"

Musique


II (2)

LE NATIONALISME HONGROIS

Dominique :

" Pour la plupart de mes compatriotes, un bon musicien ne saurait être qu’allemand…" Béla Bartók

Jocelyne :

D’ailleurs tout autour de lui est allemand : la musique, la langue officielle… les Hongrois sont en fait des Allemands. Même Dohnànyi signe Ernst alors que son prénom est Ernö, Abject ! La musique Hongroise ? quelques tziganes improvisant dans les bistrots. La littérature ? minée par une bande de pleutres gouvernementaux. Elle est belle la culture magyare ! un lindzer de roumanocratie, de slovaquophilie, de serbomanie, et de croatophobie… et de toute une ribambelle de prétendues ethnies qui s’étripent entre elles.

Bartók, lui, se sent tellement hongrois qu’il en rajoute : il pratique un culturalisme exclusif : Il fait semblant de ne pas comprendre l’allemand, il exhorte ses amis à faire de même. Il somme sa famille d’adopter le Hongrois comme langue courante.

Kodjovi :

Une authentique musique hongroise ne peut naître que si il y a une authentique classe dirigeante hongroise, or notre intelligentsia est presque exclusivement d’origine étrangère. Là sont réunis toute sorte de Juifs et d’Allemands venus d’on ne sait où. On perdrait son temps à vouloir les éduquer dans un sens national. Éduquons plutôt la province.

Vous me reprochez d’être pessimiste ?

A un disciple de Nietzsche ?

en aparté :

Jean Luc :

Il était quoi Nietzsche ?

Gilles :

Allemand !

Jocelyne :

L’aversion du musicien pour le tandem Allemagne-Autriche se radicalise, il opère un tri dans son entourage et ne veut plus avoir comme amis que de vrais Hongrois. Il cultive assidûment la compagnie des Aranyi, nationalistes pratiquant et exclusifs chez qui parler l’allemand relève de la provocation.

La vérité a des aspects moins sévères, les Aranyi ont trois filles d’une grande beauté.


II (3)

LES FEMMES

Kodjovi :

Adila et Jelly sont violonistes nous éprouvons un plaisir sans mélange à débattre du martyre hongrois.

Jocelyne :

Ou à jouer de la musique de chambre - si l’on peut dire - avec Jelly.

Ce qui va les conduire à une liaison aussi passionnée qu’intermittente.

Anne :

A Jelly, Béla dédiera en 1921 et 1922 les deux sonates pour piano et violon qu’ils donneront en concert à Londres.

Anne joue les premières mesures de la sonate pour piano et violon, en superposition elle est reprise par la bande :

Sur la musique :

Kodjovi :

 

 

Emma Grüber deviendra plus tard Madame Zoltan Kodaly.… Une personnalité très en vue… belle… et patriote… elle est aussi pianiste… et versé dans le chant folklorique. Chez elle il y a aussi d’autres jolie femmes des milieux huppés… Madame Pàl Sandor… femme du député… la très jolie madame Szechi… madame Pollavics…

Jocelyne :

En 1902 Bartók fréquente aussi les après midi d’Emma Grüber…

Dans les gynécées mondains, Bartók évolue en seigneur, on le mignote comme un coq en pâte, ce qui le ramène aux années ou il vivait seul avec sa mère et sa sœur .. Ces dames ont du goût pour la musique. Elles l’écoutent avec ravissement jouer au piano, elles montrent un empressement significatif à consulter Béla sur des sujets plus ou moins musicaux. De préférence, elles le convoquent à domicile.

Kodjovi :

La jeune fille était vêtue d’une robe flottante rouge dont elle se drapait dans un désordre pittoresque et qui, de temps en temps, permettait de voir ses formes gracieuses…

Jocelyne :

A 20 ans, Béla Bartók a sous sa coupe une écurie d’élèves exclusivement féminines.

en aparté

Dominique (à Gilles) :

Maintenir les autres en état de dépendance affective est toujours excitant.

Kodjovi :

…Ensuite il me fut indiqué pour accrocher mon vêtement une patère ou pendaient toutes sortes de lingeries féminines plus ou moins propres…

Jocelyne :

Bartók est un séducteur sans cynisme, un dom juan sans machination…

Kodjovi :

Pour finir, nous jouons à quatre mains.

Extrait musical

à la fin de la musique :

Dominique :

"L’habitude de la musique et de sa rêverie prédispose à l’amour" Stendhal


III

LETTRE DE PARIS

Kodjovi :

La préparation du concours Rubinstein m’a donné un tas de travail pour rien. Nous étions cinq candidats, les œuvres des quatre autres étaient en dessous de la moyenne, la mienne au dessus. Le jury qui aime l’ordre, la moyenne et la médiocrité n’a desservi de prix à personne. En plus il m’ont obligé à recopier la partition en deux exemplaires bien qu’ils ne regardassent même pas le second. Et dire que c’est pour cette… affaire que je suis venu à Paris, cette ville divine sans dieu. Combien de belles choses il y a ici, avec quel grand art Paris est-il construit. Au Louvre, chacune des grandes compositions de Murillo a eu sur moi l’effet d’une baguette magique. Les parcs sont des enchantements, le bois de boulogne est une forêt au moins 10 fois plus grande que notre Vàrosliget, toute ornée d’étang de statues et de plantes exotiques. Au jardin des plantes, je me suis promené sous les cèdres du Liban, sur le boulevard des Italiens, j’ai acheté Pesti Hirlap, que de choses exotiques.

Et que de belles églises !

Et puis il y a d’autres choses intéressantes à voir même si elles n’ont pas grande valeur artistique, le moulin rouge par exemple, je n’ai jamais vu un tel amoncellement de papillons de nuit fardés et aux cheveux colorés. Que ces élégantes sont amicales : quelques unes se sont même adressées à moi. J’ai ainsi appris un peu de français, je sais par exemple que les dames du Moulin Rouge ou de ce genre s’appellent "comme il en faut". On doit donc se garder de dire cela d’une personne "comme il faut".

Virgule musicale

Bizzare qu’il soit dit dans la bible : "Le corps est mortel et l’âme est immortelle" alors que c’est le contraire qui est vrai, la substance du corps est immortelle mais la forme qui l’anime disparaît.

De même il est dit que Dieu créa l’homme alors que c’est ici encore le contraire qui est vrai : l’homme a créé Dieu.

Bizarre enfin que les métiers de prêtre et d’acteur soient considérés comme opposés alors que tout deux ne clament que des contes. Je crois que les gens les plus débauchés dans les temps d’ireligiosité deviennent les plus fanatiques prosélytes lorsque la religion domine.

Musique : Allegro Barbaro

Jocelyne :

En 1907, Béla Bartók entreprend un important travail scientifique :

Il collecte, enregistre sur rouleaux de cire, répertorie, transcrit et étudie des centaines de musiques populaires Hongroises, Roumaines, Bulgares, Turques, Arabes…

Dans une Lettre à Màrta Ziegler, il raconte un épisode de son travail chez les paysans roumains.

Jean Luc :

S’il vous plaît : qui était Màrta Ziegler ?

Jocelyne :

Une de ses jeunes élève, 14 ans, fille d’un inspecteur de police, que Bartók,32 ans, épouse en secret, ils ont un fils "Béla", dix ans après il les abandonne pour épouser une nouvelle élève de piano, Ditta Pasztory, 16 ans.

Kodjovi :

Tout va bien et en bon ordre. Ditta est habile ménagère. Le matin elle astique, elle aide à la cuisine, elle y est aussi très habile. L’après midi elle peut s’exercer au piano, nous jouerons bientôt ensemble pour un concert… Marta va très bien. Elle a grossi de six kilos, cela me fait vraiment bien plaisir.

Jocelyne :

On croit rêver. La mère de Bartôk elle, ne s’en remettra pas.

Mais revenons aux paysans roumains.

Kodjovi :

C’est déjà le deuxième jour que je m’amuse ici, à Daràsz est une commune de 1000 habitants. Il faut voir comme les gens se rassemblent autour de mon phonographe et s’efforcent d’enregistrer toujours plus de chansons ! Naturellement ce n’est pas le résultat de la collection qui les intéresse, mais le grand entonnoir, la "Truba", le micro. Leur richesse en chansons parait inépuisable, en 2 après midi, ils ont chanté 60 chansons. L’année dernière, ils en avaient chanté 80 autres.

Alors que je plaçais un homme devant l’entonnoir, il retira respectueusement son chapeau, hilarité générale ! Une très jolie jeune fille chanta une chanson d’amour à propos de Hanzika…

Jocelyne :

Jeannot

Kodjovi :

…les autres commencèrent à crier…

Tous :

"Martinka, Martinka, elle doit chanter Martinka pas Hanzika"

Kodjovi :

…et de rire, et de rire. Martinka était (en fait) le nom de son amoureux. Plus tard ils devinrent tout à fait turbulents, ils criaient dans le pavillon n’importe quelle bêtise : Dobru noc ou Eljen

Anne :

Bonne nuit en slovaque et Vivat en hongrois

Kodjovi :

Un ivrogne entra et cria à toute gueule qu’il voulait enregistrer sa voix. Enfin ils partirent ; à dix heures.

Pour dîner on me dit qu’il y avait trois œuf et du lait, mais le feu refusait de prendre, sur les murs coulait un liquide nauséabond, la condensation de cette foule, on me fait le lit, les draps sont immédiatement trempés. dehors il gèle à pierre fendre, la lampe s’éteint sans cesse. Le feu commence enfin à brûler sans flamme, on me laisse la charge de l’attiser, cuire les œufs, chauffer le lait. Pour finir une épaisse fumée piquante envahit la pièce, il ne manquait plus que ça, je me brûle les mains, je fait tomber les chaînons du foyer dans le feu avec mon dîner, c’est le bouquet. Finalement je savoure avec passion le reste de lait écru accompagné d’un grossier pain noir qui me paraît sublime et m’endors dans ma propre couverture.

Au matin lorsque je me lave dans la pièce, mon corps fume comme celui d’un cheval qui a beaucoup sué, quel froid.

Maintenant je peux dire avec joie que j’ai supporté cela et bien d’autres épreuves sans le moindre rhume. Qu’on m’en préserve encore.

En conclusion voici quelques bonnes mélodies paysannes

musique (danses Roumaines pour violon et piano)

ENTRACTE

musique (piano solo)


(IV)

LA MUSIQUE POPULAIRE HONGROISE

Dominique :

"Une vraie tradition n’est pas la relique d’un passé irrémédiablement disparu ; c’est une force vivante qui anime et modèle le présent."                   Igor Stravinsky

Kodjovi :

Ma nomination à l’Académie Royale de Budapest en 1907 me permis de poursuivre mes travaux sur le folklore. Je cherchais à aviver la musique savante avec des éléments d’une musique paysanne fraîche et préservés des influences récentes.

Les mélodies hongroises connus comme chansons populaires, comme celles jouées par les tziganes et empruntés à la musique savante du siècle dernier, ne sont en fait que des airs postiches à la mode souvent triviaux qui n’ont rien à voir avec la véritable musique paysanne.

Jocelyne :

La véritable musique paysanne emprunte les modes grecs anciens ou d’autres encore plus primitifs. Certaines de ses mélodies ont en effet plus de 2000 ans. C’est là que se trouve le reste de l’ancien patrimoine culturel commun à toute la nation hongroise. C’est à dire aux descendants d’une peuplade celte immigrée de Finlande. Il faut rappeler que la langue Hongroise n’est ni slave comme le slovaque ni romaine comme le roumain ni anglo saxonne comme l’allemand mais finno-ougrienne.

Kodjovi :

Alors que la musique savante est une expression artistique individuelle : les compositeurs fabriquent des airs… La musique paysanne elle est collective : les paysans, remodèlent petit à petit des musique issues d’influences multiples.

Celui qui observe la musique paysanne sera frappé par deux traits caractéristiques foncièrement différents de toute la musique occidentale :

Le Rubato et a Tempo Guisto

Les regards se tournent vers Jean Luc

Gilles :

Premièrement le Rubato, c’est à dire un rythme déclamatoire non mesuré ou les temps fort sont retardés, exemple :

Extrait musical N°15 et texte correspondant en Hongrois par Anne

Dominique :

Partout où je vais, même les arbres pleurent, De leurs faibles branches tombent les feuilles.

Gilles :

Deuxièmement : le A tempo guisto, c’est à dire, le tempo à votre guise.

Extrait musical N°16 et texte correspondant en Hongrois par Anne

Dominique :

Que je te dise, homme, ce que j’ai rêvé,… dans le tourment,

j’ai rêvé à ton nouveau mouchoir,

déchiré en deux.

Gilles :

Le rythme apparemment complexe de nos deux exemples, peut en fait être simplifié si l’on conçoit qu’il dépende du texte placé dessous, le caractère de l’exécution est comparable à celui d’un récitatif.

Jocelyne :

La plupart de ces musiques étaient des chants de travail, d’autres servaient pour la danse, il y en avait aussi de rituelles pour les cérémonies, d’autres enfantines, humoristiques et toute sorte de chants de circonstances.

Kodjovi :

Nous eûmes un mal fou à amener les vielles gens à chanter : l’une avait honte et disait "cela ne convient pas à une vielle femme", une autre n’avait que de lointains souvenirs, puisqu’elle ne chantait plus de peur des moqueries de la part des plus jeunes, enfin beaucoup soupçonnaient que je travaillasse pour le contrôleur des impôts afin de taxer les chansons des villages. Nous parvînmes néanmoins à phonographier environ 200 mélodies mères et plusieurs centaines de variantes. Malheureusement le plus souvent à une voix, nous étions déjà bien content lorsque nous trouvions une seule personne qui connaissait des chansons.

Musique (Mélodie hongroises chantées et accompagnées au piano)


(V)

Une période troublée

Kodjovi :

En 1917 alors que le public Budapestois commençait à marquer un certain goût pour mes œuvres, le marasme économique et politique s’accentuant m’interdit tout accomplissement de quelque travail sérieux que ce fût. Il était désormais impossible de se déplacer dans les campagnes à cause de l’hostilité réciproque des parties séparées de l’ancienne Hongrie. Du reste, ma branche de la musicologie n’intéressait personne.

Jocelyne :

Il y a longtemps que le nom du compositeur a franchi l’Atlantique. On est curieux là -bas de voir à quoi ressemble l’extravagant dont s’est tocqué l’Europe. Bartók est annoncé partout comme un sauvage acariâtre qui violente avec fureur les sons. Les organisateurs américains se frottent les mains. On allait prendre le public à rebrousse poil, lui en mettre plein la vue, le scandaliser comme il souhaitait l’être. La presse était alertée ; les articles écrits ; les radios sur le pied de guerre, on attendait l’événement. Pas d’événement ! un incident s’était produit. Pour une raison inconnue, les partitions n’avaient pas pris le bateau. Le soir du concert, le directeur du Théâtre annonça en remplacement la Rapsodie pour piano. Bartók fit un bref discours touchant ses rapports de compositeur avec l’art contemporain. Il était petit et parlait bas, rien à voir avec les vedettes américaines Ensuite il s’assit au piano et donna le récital le plus collet monté, le moins américain possible. Le lendemain il fût éreinté par la critique. Son premier contact avec l’amérique le plaçait d’emblée sous les auspices de la malédiction.

Anne :

L’amérique est la terre de la liberté : la liberté de mourir de faim

Kodjovi :

L’argent a le pas sur tout, la valeur des individus, les amitiés… C’est le pays du mauvais goût, du gigantisme et de la saleté. La grandeur d’un peuple se vérifie à ses traditions, l’histoire américaine est un cul de sac, encore y a-t-on de mauvaises surprises comme le massacre des indiens qui, comble de l’ironie, sert aujourd’hui d’attraction foraine.

Un jour à Los Angelès, sur un quotidien brandi par un crieur, je tombe sur cette manchette : "LE MUSISIEN HÉRÉTIQUE" j’achète le journal, indiscutablement c’est de moi qu’on parle : "Monsieur Bartók et ses pairs ne semblent faire aucun cas de ce que Beethoven a pu appeler l’influence morale et spirituelle de la musique". Qu’est ce que cela signifie ? la musique n’est pas de la morale, comment une telle pudibonderie a t’elle pu arriver en première page d’un grand magazine ?

Extrait musical enregistré de music hall ringard interrompu par la musique en direct

Jocelyne :

Béla Bartók est invité à siéger en 1931 au comité des arts de la Société des Nations à Genève aux cotés de. Paul Valéry, Thomas Mann, de l’historien d’art Focillon… bref le gratin de la matière grise occidentale. Une telle assemblée ne pouvait que faire assaut d’intelligence et d’esprit face aux graves question posées par la conjoncture.

Kodjovi :

Qu’attend-on pour présenter un projet de résolution condamnant les brimades infligées par les fasciste italiens à Toscanini ?

Gilles :

Psssst ! "Cher compatriote, je vous engage à oublier d’urgence les malheurs de Toscanini, pareille déclaration vous exposeraient aux pires ennuis, permettez moi un conseil de vieux diplomate : commencez par sonder l’opinion politique des autres membres avant de livrer les vôtres avec une telle ingénuité."

Kodjovi :

On annonça ensuite que les essais en vue d’adopter une fréquence uniforme pour le La du diapason s’étaient soldés par un cuisant échec. On rédigea ensuite un appel pour que les services de radiodiffusion donnent davantage de poésie à l’antenne et que l’on insiste sur la qualité de la déclamation.

Dominique :

"Nous sommes une génération très infortunée à laquelle est échue de voir coïncider le moment de son passage à la vie avec l’arrivée de ces grands et effrayants événements dont la résonance emplira toute notre vie."                        Paul Valéry

Musique : Evenning in Transilvannia

Jocelyne :

1939 : le cancer nazi se généralise en Europe. Vienne est tombé, à quand la Hongrie ?

A Budapest Horthy avait déjà pris les devants dans les persécutions contre les juifs. Ce qui n’empêcha pas Hitler de le congédier.

Désespéré par les progrès de la contagion, Bartók veut encourir à son tour les persécutions, devenir Juif et dénoncer l’antisémitisme. Il entreprend même des démarches sérieuses pour se convertir, mais on lui notifiera l’impossibilité d’une telle mutation à des fins politiques. Universal, son éditeur est nazifiée, la société des auteurs aussi. Cela signifie qu’il sera désormais payé par les nazis. La Gestapo commence à fureter dans ces antécédents génétiques.

Kodjovi :

On m’a fait remplir un questionnaire relatif à mon "degré d’appartenance à la race des saigneurs".

Je me suis en revanche offert un petit luxe antinazi : J’ai exigé que mes œuvres soit exposés a Berlin lors d’une exposition "d’artistes dégénérés", juifs comme il se doit, manigancé par l’Association des Compositeurs Allemands ; entendez nazis. Pourquoi ? : C’est que je tiens à figurer la dégénérescence aux yeux des assassins.

Extrait musical (Contrastes ou Duos pour 2 violons ?)


(VI)

LA NOUVELLE MUSIQUE

Kodjovi :

La musique de nos jour tend vers l’atonal, mais ne vous y trompez pas, non seulement le grand art s’y perpétue mais il s’enrichie de cette nouvelle diversité.

Jean Luc :

S’il vous plaît qu’est ce que l’atonal ?

Anne :

(lire le texte ci-dessous en l’illustrant avec des accords ou des motifs*)

Voici un accord tonal : c’est à dire dans le ton ici de La *

Voici un accord atonal : ici plus de tonalité * seulement des tendances, des attirances.

Voyons, en résumé, comment on en est arrivé là et l’intérêt que représente l’atonal pour l’art musical :

Il n’y a pas de cassure ou d’opposition entre tonal et atonal mais d’une évolution très progressive.

De l’unisson du moyen âge on est passé à la polyphonie de la renaissance puis à la modulation classique.

A l’époque romantique l’accumulation d’accords altérés a amené à des accords de plus en plus riches et à l’utilisation de plus en plus complexe des notes de passage, à tel point que la tonalité, disparaissait au profit d’une complexité de plus en plus embrouillée. C’est alors que certains, comme Arnold Schoenberg ont proposer de donner une valeur égale aux douze sons et à quitter le système désormais embarrassant des gammes.

Les possibilités expressives se sont alors prodigieusement accrues. Précédemment on formait tout au plus des accords de quatre sons, et seulement dans des combinaisons déterminées et admissibles ; maintenant on fait même sonner les douze sons en même temps dans diverses combinaisons ce qui produit une matière sonore à la fois de plus en plus épanouie et raffinée.

De la vanité d’un accord de trois notes à la douceur sonnant avec plénitude d’un accord de huit sons, à la pesanteur stridente de celui là, ou de la teinte grave et blessée de celui ci, nous avons à notre disposition une richesse jamais égalée de nuances intermédiaires. Les intervalles les plus restreints de notes voisines produisent l’effet d’un bruit stylisé à la sonorité plus ou moins épaisse. surtout dans les graves. Le même dans l’aigu devient plus éthéré.

Kodjovi :

On travaille pour ainsi dire avec des masses sonores, des tâches plus denses ou plus aériennes, plus massives ou plus subtiles. Si l’œuvre est réussie, c’est que la conduite des lignes mélodiques forment un tout harmonieux, cette harmonie acquiert même un sens moins technique et plus métaphorique qu’autrefois.

Les craintes selon lesquelles les œuvres d’aujourd’hui ressembleraient à des masses informes, à cause de l’abandon du schéma tonal ne sont pas fondées. Selon moi, les ressources de la sensibilité humaine sont quasiment illimitées. Notre idéal est maintenant de mettre en valeur toujours plus de composantes du son, comme matériaux des œuvres.

Musique électroacoustique (extrait)


(VII)

L’EXIL DE LA VIE

Dominique :

L’amérique est la terre de la liberté : la liberté de mourir de faim                                   Béla Bartók

Jocelyne :

Bartók quitte l’Europe, épique fuite où il perdra la plus grande partie de ses biens. Il se retrouve de nouveau à New York en 1942.

Kodjovi :

Je veux bien m’intéresser au cubisme à condition qu’il soit sublimé par le pinceau d’un créateur et non pas destiné au logements. Ces clapiers colossaux me hérissent, ici je souffre de claustrophobie.

Jocelyne :

Pourtant il doit se déplacer en métro et sur le quai d’une station il tombe nez à nez avec son fils Peter, démobilisé la veille.

Quelques jours plus tard, Bartók se sent un peu fatigué, il a une petite fièvre : 37.8. Aucune importance. La mort se présentera d’abord sous la forme de cette fièvre insignifiante. Il compose à son rythme habituel. Tout les soirs il prend sa température 37.8.

Dîner copieux, libations, tabagie et discours à la société de musicologie. 38.8. Les médecins proposent avant tout traitement de dépister les causes de la maladie mais ils n’en trouvent pas. Béla Bartók est scientifiquement en excellente santé…

Musique : Evenning in Transylvannia

Kodjovi :

Il me restait dix sept mesure à remplir lorsque je fus emmené d’urgence à l’hôpital du Westside.

Que la mort ait osé m’interrompre avant d’avoir fini me laissait stupéfait.

Mourir me dérange dans mon travail et me fait perdre un temps précieux.

Je suis mort le 26 Septembre 1945 à l’aube à l’âge de 64 ans.

Le service funèbre eut lieu le vendredi suivant à l’Universal Funeral Chapel et l’inhumation à Fern Cliff Cemetery Hartsdale.

Il y avait peu de monde : quelques vrais amis musiciens, quelques compatriotes, un public gêné de formé un groupe aussi clairsemé où la famille était seulement représenté par Peter.

Peter.

Musique reprise par l’orchestre sur bande puis enchaînement avec une pièce en direct.

Fin